Dinosaure par Kathy Alliou

extrait de Tout Le Gentil Garçon, ed. Les Requins Marteaux, 2011

 

« Nous ignorons le sens du dragon, comme nous ignorons le sens de l’univers, mais il y a dans son image quelque chose qui s’accorde avec l’imagination des hommes, et ainsi le dragon apparaît à des époques et sous des latitudes différentes ».[1]

Les représentations animales dans l’œuvre du Gentil Garçon ont trouvé leurs prémisses dans la figure du dragon, à la faveur de sa collaboration au film Le Musée des dragons[2] et de sa rencontre avec le paléontologue François Escuillié. Car l’être imaginaire du Gentil Garçon se nomme en réalité dinosaure. Les ossements de ce reptile fossile - disparu il y a soixante-cinq millions d’années, précédant donc de loin l’apparition de l’homme sur terre - ont été longtemps identifiés à ceux de dragons. Cette asynchronie entre l’homo sapiens et les dinosaures, l’amplitude temporelle entre leurs règnes terrestres, font du dinosaure aux yeux de l’homme un archétype, c.-à-d. un spécimen primitif d’animal, et aux yeux de l’artiste un prototype, c.-à-d. une ébauche fonctionnelle, adaptable, évolutive, voire épuisable. La sculpture Pac-Man, sur le modèle de la reconstitution ostéologique en plâtre puis en résine de cet ancêtre des jeux vidéo, résulte d’une extrapolation de crânes humains et d’animaux prédateurs. Elle confère à ce personnage virtuel une consistance tangible et l’inscrit dans la chaîne de l’évolution. En 2005, Le Gentil Garçon réalisait le Cératopidoïde, squelette en plastique inspiré des cératopsidés, famille de dinosaures à bec, corne et collerette dont l’espèce la plus connue est le triceratops. Il recourt à l’agencement d’os en plastique fabriqués en Chine qui sont amalgamés à la façon des cellules élémentaires de l’organisme. Le squelette du Canidoïde, à la posture pourtant familière est représenté selon une échelle qui déconcerte ceux qui fréquentent les canidés contemporains. Il relève du même traitement d’os assemblés de façon anarchique. Tel l’Oroboro, cette figure autophage tient un os dans sa gueule. Les marqueurs de l’évolution de la vie sur terre : fossiles d’êtres amphibies, ammonites, os de tyrannosaures, crânes d’hominidés et coelacanthe, poisson fossile vivant encore dans les eaux profondes sont réunis dans Célébrations. Ce condensé archéologique prend la forme d’objets en résine de couleur chocolat noir, au lait et blanc disposés sur socles qui suggèrent le déballage de chocolats fleurissant dans les vitrines des pâtisseries lors des fêtes de Pâques. Les sujets, garnis de fritures du jurassique, sont parfois emballés sous films plastiques et noués d’un beau ruban à motifs d’oursins et de fougères. La recherche paléontologique recèle ici la promesse de plaisirs en chaîne. Dans un dessin de la série Supergribouillepen, l’artiste s’en remet à l’épuisement du marqueur pour désigner la fin des dessins muraux de dinosaures réalisés de «mémoire». Dans cet arbitraire réside le mystère de leur disparition. Le  dinosaure n’est pas exploité pour le potentiel d’agressivité que sa représentation usuelle véhicule, il sert une didactique de représentation du monde du vivant ; le motif animal, un principe vital (cf. l’étymologie du mot) qui sous-tend l’œuvre du Gentil Garçon.

 

—[1]Jorge Luis Borges, avec la collaboration de Margarita Guerrero,  Le livre des êtres imaginaires éd. Gallimard collection l’imaginaire

—[2]Documentaire réalisé en 2004 par Vincent Amouroux, co-production les Films d’Ici, ARTE France et Y/N productions

 

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sigourneySMALL Sigourney Waver, Gorilles dans la brume, 1988pixel

 

 

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