Enfance par Carole Rigaut

extrait de Tout Le Gentil Garçon, ed. Les Requins Marteaux, 2011

 

« L’enfance est un monde nouveau avec tout ce qu’il y a de plus fantastique chez l’enfant, tout ce qu’il y a de direct chez l’enfant, tout ce qu’il y a de figuré chez l’enfant, contre la sénilité, contre le monde des adultes ».

Cette citation d'Hugo Ball, écrivain et poète allemand du mouvement Dada illustre bien l'état d'esprit dans lequel est apparu le Gentil Garçon. Alors même qu'il n'a pas encore de nom, son apparence est en soi intrigante et un rien infantile : ce n'est qu'une grosse sphère en papier flanquée de deux yeux fixes et d’un immense sourire tracés au feutre noir. Le tout est fiché tel une tête de playmobil trop grande sur un corps humain longiligne. Au début, on n’y croit pas vraiment, on ne se fait pas avoir, d’ailleurs on lui demande d’ôter sa tête. Mais il persévère et petit à petit, il prend de l’assurance au fil de ses apparitions dans les lieux publics (Délits de sale gueule). Il s’incarne et prend corps, son créateur s’oublie comme l’enfant dans le personnage d’un chevalier ou d’un super-héros et la magie opère. Le Gentil Garçon naît le 1er novembre 1998 et c'est tout naturellement qu'on l'a adopté comme une figure populaire de notre quotidien.

Dès lors, il a tout à construire face à ce nouveau monde qui s'offre à lui. Il célèbre ainsi l’esprit d’enfance, celui mis en avant par le mouvement Dada « comme une incarnation de ce qui est potentiellement là quand on est encore conditionné par rien ».[1] Successivement il s'improvise Godzilla (Hyperécrabouilleland), magicien (Good Luck Mr Chance), historien (Street Spirits), musicien (Phoenix), conférencier (A Soap Odyssey), chimiste (Hybridations), voleur (Take The Painting And Run), paléontologue (Pac-Man)  et bien d'autres encore pour appréhender et expliquer ce monde de tous les possibles, celui de l'enfance retrouvée. Pour cela, Le Gentil Garçon ne cherche pas à être efficace ou en compétition, ce n'est pas la recherche de la connaissance absolue ou de l'excellence qui l'anime. « Comment ça marche ? » est la question majeure qu’il se pose. Le Gentil Garçon saisit la réalité en utilisant cette spontanéité primitive, celle de l’enfance. Loin des conditionnements liés à l'éducation ou de l'héritage direct des savoirs, il crée  un univers d'expérimentation et de création lui permettant de faire appel à différents types de savoirs pour résoudre un problème, questionner des éléments, déduire un principe... Cette attitude d'appréhension du réel permet de transformer l'habituel savoir transmis  au profit d’un savoir à construire. C'est le système de réflexion que tout enfant autonome dans son apprentissage met en place pour comprendre ce qui l'entoure.

Actif, il s'interroge, il réfléchit sur lui-même, sur les autres ou sur les choses, il se raconte des histoires, élabore des théories. Il est découvreur d'un monde neuf auquel lui manque l'unité du temps et de l'espace. Considérant l'univers comme un ensemble indéterminé, il ne s'installe pas dans le passé ni ne se projette dans l'avenir. Il appréhende ces notions d'une façon toute particulière, dans l'instant, à la manière de l'enfant ayant la faculté d'arrêter le temps à tout moment dans l'expérimentation du plaisir. Ainsi, il invente de nouvelles unités de mesure, changeant les normes établies : il compte en base de gâteaux d'anniversaires et en nombre de bougies (Un millier d'années), symbolise le temps qui passe par le gonflement et l’explosion de bulles de chewing-gum faites avec sa bouche (Bubble Clock), ou bien s’amuse à compter en os les morts depuis la création de l’humanité en s’appuyant sur une donnée scientifique (Pendant ce temps-là, nulle part). Il va même jusqu’à remettre en question l’ordre du temps instauré communément en affirmant que le futur est derrière nous car on ne le voit pas venir. Oscillant d'une idée à une autre, sa pensée demeure uniquement dans l'action qui se passe; la seule certitude qu'il détient étant la date de son propre enfantement. Le reste surgit, venu de nulle part, de quelque part... Il vit  tout entier dans le moment présent, en ne se demandant pas qui il est ou ce qu'il est, il se contente d'être dans la recherche d'un plaisir immédiat.

Enfin, dans une volonté de clarification du monde, il traduit ses idées dans des formes simples et colorées facilement identifiables pour tout un chacun. Tête à Toto, Bonhommes de neige, Père Noel, dinosaures, Pac-man ou super-héros, autant de références culturelles de l'enfance que nous appréhendons en toute confiance. Pourtant, utilisées comme un leurre, elles se montrent à un deuxième niveau de lecture déstabilisantes en nous mettant nous aussi à l'épreuve de notre propre perception de la vie.

Dérivant dans la réalité  comme un enfant explore un vaste terrain de jeu, Le Gentil Garçon s'arrête çà et là selon les envies de son imagination et y laisse sa marque. Cette expérimentation active sollicite le plaisir à observer, à découvrir et à explorer, témoignant d’un sentiment de liberté dont nous avons tous besoin pour échapper au destin et entrer dans une histoire singulière pour grandir.

 

—[1] Henri Béhar, Le soulèvement de la vie, entretien, La Gazelle, Le journal du théâtre Dunois, n°18, nov 2010-jan 2011

 

 

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