Héros par Claude Hubert Tatot

extrait de Tout Le Gentil Garçon, ed. Les Requins Marteaux, 2011

 

Né de l’union entre dieu et mortel ou divinisé pour récompenser ses actions, le héros antique a une grandeur d’âme que laisse transparaître un corps souvent athlétique. Sa mort tragique et sacrificielle lui ouvre les portes du Parnasse et c’est l’apothéose. Peints ou sculptés, ces exemples de vertu parlent au-delà de leur époque. Actions remarquables, bravoure, fidélité et abnégation servent de modèle par delà les temps. Homère et Racine écrivent leurs tragédies et leurs épopées, les noms de ceux qui se sont sacrifiés pour la patrie sont gravés sur les monuments commémoratifs. Principaux protagonistes de la peinture d’histoire, les héros se battent et meurent avec courage. Jacques Louis David met en scène ces athlètes nus et casqués : Léonidas au Thermopiles, les Sabines ou la mort de Patrocle. Comme le dit Corneille « L’enfant et le héros s’accordent mal » [1] et hormis le jeune Barra[2], peint gisant la cocarde serrée sur son cœur, le héros comme le définit Winckelmann[3] ou Quatremère de Quincy[4] est un homme dans la force de l’âge. Pour éviter tout revers de mode et le ridicule du costume, il est même représenté nu. Avant que le genre décline et que Ingres peigne Léonard de Vinci mourant dans les bras de François Ier et Harry Sheffer Delacroix sur son lit funèbre, l’artiste, dont Vasari[5] avait pourtant fait le récit des exploits, se contentait de représenter des héros sans en être un lui-même.

En s’annonçant d’emblée comme Gentil dans le monde de l’art, le Garçon fait figure de héros. Son père, « ce héros au regard si doux », comme le dit Victor Hugo dans La légende des siècles, phrase reprise par Gérard Lauzier pour le titre de son film Mon père ce héros, pourrait être Toto. Grosse tête souriante, mèche en forme de corne, mine de papier mâché, Il lui ressemble par la simplicité de ses traits. Cette filiation expliquerait que Le Gentil Garçon multiplie les têtes de l’incontournable protagoniste des blagues de Carambar dont le cinéaste belge Jaco Van Dormael dit qu’il est un héros (Totologie).

Au regard de ses attributs, Le Gentil Garçon serait en fait plutôt un superhéros. Son épée, Excalibur Bergsonienne à double tranchant, est profilée sur le spectre sonore de son rire (Le propre de l’homme). Comme Flash et Quick Sylver, il se déplace à la vitesse de la lumière glissant sur des fils électriques grâce à sa planche à roulettes au krypton (Light Board). Son avion gonflable en plastique transparent, dont la chaise du pilote est rouge (Air lines), est presque aussi invisible que celui de Wonder Woman.

Malgré cela, Le Gentil Garçon reste proche de nous tout comme le sont ses amis Couche-tard, Biglor, ou Acide Kid qu’il dessine au Supergribouillepen dans un Super Abécédaire pour les enfants (ed. quiquandquoi, Genève, 2002).

Le Gentil Garçon est encore doué de super-pouvoirs de transformation. Il peut se glisser dans les expositions, inerte et sculptural, sous la forme d’un tas de soixante douze kilos de pâte à modeler rouge où sont fichées les répliques de ses yeux bleus (Auto-sculpture). Aussi pictural que minimal il peut s’accrocher au mur, monochrome rose percé de deux trous dont la surface égale celle de sa peau (Auto peinture). Performeur, en combinaison blanche, il  fait des conférences diapos sur la conquête de l’espace à partir de publicités de lessives (A Soap Odyssey). Il fait alors se rencontrer deux figures héroïques de la modernité : Neil Armstrong qui a laissé une trace de ses chaussures sur la lune et les enzymes gloutons qui dévorent les vilaines taches avec la même rapidité que Pac-Man se nourrit de fruits.

Avec sa grosse tête de carnaval, il a aussi fait des descentes, comme le shérif dans le saloon d’un western, au musée des Beaux-arts de Lyon et dans un super-marché (Délits de sale gueule). Révélateur de ridicule, il dérange et pareils aux héros du cinéma burlesque ces apparitions poussent le spectateur à rire.

Le gardien du temple l’interpelle et le chasse : on ne rigole pas dans un musée, c’est comme une église. La responsable de rayon l’invective: « Monsieur s’il vous plait, posez votre tête à l’entrée ! », comment ne pas penser alors à tous les héros décapités, d’Anne Boleyn à Saint Jean-baptiste, héros et martyres au cou coupé ?

Bien qu’il ne revendique pas cette paternité, Le Gentil Garçon pourrait aussi être le digne fils de Bouvard et Pécuchet[6]. Comme eux, il capitalise ses ignorances. Positiviste, il se lance dans nombres d’expériences, échafaude des hypothèses et se met dans les pas des vrais héros de la modernité que sont les chercheurs et les savants. Il compte en os le nombre de morts de la planète (Pendant ce temps là, nulle part) ; il reconstitue son squelette d’après mémoire (L’homme de Mnémosyne) ; il mêle dessins de Vinci et illustrations d’ouvrages de Jules Verne (Le voyage fantastique), pour représenter un étrange voyage au centre de l’humain. Il filme même ses visiteurs indélicats qui dérobent des cris de Munch (Take the Painting and Run) qu’il a lui-même contrefaits et les regardeurs attentifs  de  certaines de ses sculptures. Il se fait par ce biais sociologue, observateur de son public et lui cède la place du héros. Reprenant l’idée du livre dont vous êtes le héros il fait l’exposition dont le spectateur est l’acteur et l’intitule Le Visiteur visité rappelant l’arroseur arrosé.

Comme les personnages de Flaubert, il s’intéresse à tout, même au sport et développe des instruments propres à révolutionner les disciplines. La planche aux roulettes en krypton (Light Board) ou l’hybridation d’une balle de tennis et d’un ballon de basket (Hybridations) attestent de cet  éclectisme absurde et font du Gentil Garçon un spécialiste en tout, digne confrère du professeur Tournesol et de Géo Trouvetou. Le Gentil Garçon est un héros savant et comme le dit Romain Rolland, « un héros est celui qui fait ce qu’il peut ». Sentimental teinté d’humour son centre de gravité est à équidistance entre le cœur et le cerveau.

 

—[1] Corneille, Oedipe, acte II, scène 4

—[2] Jacques Louis David, La mort du jeune Barra, musée Calvet.

—[3] Johann Joachim Winckelmann, 1717 1768, archéologue, antiquaire et historien de l’art allemand.

—[4] Antoine Chrysostome Quatremère, dit Quatremère de Quincy, 1755-1849, archéologue, philosophe, critique d'art et homme politique français.

—[5] Giorgio Vasari, Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, 1550, Florence.

—[6] Gustave Flauatotbert, Bouvard et Pécuchet, Paris, 1881

 

 

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offmanSMALL Dustin Hoffman, Les Hommes du président, 1976