Sport par Jérôme Diacre

extrait de Tout Le Gentil Garçon, ed. Les Requins Marteaux, 2011

 

Lors d'une performance réalisée à l'invitation du Parc Saint-Léger et de la Galerie Arko à Nevers, Le Gentil Garçon rejouait la scène finale de Blow up d'Antonioni en courant autour du public et en mimant une partie de tennis jusqu'à l'épuisement. En arrière fond, un film d'animation était projeté dans lequel des centaines de balles et de ballons rebondissaient en créant une bande sonore syncopée. Le rythme de l'effort pendant la performance était sonorisé et indexé sur celui des balles.

Le sport est un mode d’action ou bien une réserve d’éléments visuels et sonores par lesquels il introduit dans ses œuvres un jeu avec le poids, la légèreté, la gravité (au double sens d’attraction terrestre et de sérieux) et de lévitation. De Where Da Hell Are We Going?, Light Board, Newton jusqu’à L’amour à mort, le sport est plus ou moins discrètement mis en avant de sorte que des questions de fond, présentes en contrepoint, peuvent faire l’objet d’un moment d’attention. Dans ce thème secondaire, on peut ouvrir une perspective audacieuse et intéressante : l’épuisement physique (performance), l’immobilité d’un corps entre la vie et la mort (balles de ping-pong), des organes dessinés par Vinci pris d’assaut par des alpinistes de Verne, un bibendum patineur hydrocéphale… soulignent effectivement une certaine mélancolie liée à l’esthétique crépusculaire que développe aujourd’hui le sport. Marc Perelman écrit en effet dans son ouvrage, « Le sport barbare (Michalon, 2008) : « Or si des sports comme le football et le rugby peuvent se rattacher au domaine de la désublimation répressive – défoulement des individus, débauche des énergies “libérées” et délivrance grossière, brutale, massive des corps par des piétinements, des coups, des télescopages, des heurts, des commotions, bref de la sauvagerie –, cette “érotisation” virile se réalise entre mâles assoiffés de victoires, prêts à en découdre sur le terrain ou dans les vestiaires. […] Le sport participe donc plutôt d’une esthétique crépusculaire […]» 

Dans le film d’Antonioni, l’ivresse de l’adolescence insouciante qui roule en Jeep et crie dans les rues contraste avec la désillusion du photographe : le mime silencieux coïncide avec la cécité progressive de l’image rendue illisible par les grossissements successifs. Le silence et le son, avec les jeux de lumière et d’ombre introduisent dans les œuvres du Gentil Garçon une texture expressionniste. Chez Murnau et Lang, filmer les foules, au moment historique de la naissance des masses, nécessite une certaine grammaire dont la gravure et la peinture donnent les clefs. Dans l’ombre des silhouettes les visages lumineux se détachent ardemment. C’est alors une manière de sublimer l’écrasement de toute singularité en une épiphanie sacrée. De la même manière que le mime se sert de l’invisibilité de son objet pour mieux le faire voir, les œuvres du Gentil Garçon détournent l’objet du sport pour rendre visible une proposition davantage orientée sur la condition humaine. Le portfolio Le voyage fantastique souligne parfaitement cela : l’alpinisme des gravures historiques qui illustrent le Voyage au centre de la Terre de Verneagissent sur les dessins anatomiques de Vinci comme des révélateurs de l’épopée humaine. Ainsi se trouve sublimée de nouveau l’activité sportive ; elle n’est plus la recherche barbare d’un exploit mais l’interrogation d’une représentation possible de l’humanité par l’image du corps.  

 

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